Comment la vidéo a réussi à marier le jeu Fortnite et… la science

C’est une idée incongrue, comme toutes les idées géniales.

Celle-ci trouve sa source dans une frustration : pourquoi une vidéo scientifique est moins vue qu’une vidéo sur Fortnite (le jeu vidéo phénomène de l’année 2018 – si vous avez plus de 35 ans, vous êtes pardonné·e) ? Autrement dit, pourquoi Fortnite bat la science dans la bataille pour capter l’attention ? Par la force du divertissement ? Oui, mais pas seulement…

La rencontre improbable entre Fortnite et la science du climat

Le 18 juillet 2018, sur Twitter, la scientifique canadienne Katharine Hayhoe clame sa frustration :

The climate science webinar I uploaded to @YouTube last week has 1k views. The Fortnite FPP video my eleven year old uploaded yesterday has 10k views. #keepingmereal #isthereaclimateversionoffortnite— Katharine Hayhoe (@KHayhoe) 18 juillet 2018https://www.wired.com/story/fortnite-twitch-climate-scientists/

Un tweet qu’on pourrait traduire comme ceci : « Le webinaire sur la science du climat que j’ai publié la semaine dernière sur YouTube a été vu 1 000 fois. Une vidéo de Fortnite que mon fils de 11 ans a publié hier compte 10 000 vues. #Humilité #YatiluneversionclimatiquedeFortnite »

Plusieurs internautes lui répondent alors d’associer les deux : pourquoi ne pas parler de réchauffement climatique pendant une partie de Fortnite, diffusée sur YouTube ? Mme Hayhoe ne saisit pas la perche. L’histoire aurait pu s’arrêter là.

Parler de changement climatique sans posture professorale (et sur Twitch !)

Sauf qu’à 3 200 kilomètres de là, au MIT (Massachusetts institute of technology), un étudiant décide de passer à l’acte. Henri Drake, qui étudie les sciences climatiques, crée une chaîne Twitch (un YouTube du jeu vidéo – si vous avez plus de 35, vous êtes à nouveau pardonné·e) : « ClimateFornite ».

Sur Twitch, le streaming le plus populaire concerne le jeu Fortnite.

Pour l’auteur de cette chaîne, contacté par le magazine Wired, l’idée est de « bâtir une communauté où les internautes peuvent parler directement à un expert. » Ajoutant que « ce contact est particulièrement important pour un sujet comme le réchauffement climatique, qui suscite beaucoup de désinformation. »

Autre avantage, relevé par Angela Watercutter, la journaliste de Wired : parler de changement climatique sur Twitch a l’énorme avantage de permettre une science moins professorale. « On ressent un certain bonheur à voir galérer des docteurs de l’Université pour configurer un streaming Twitch » relate ainsi Mme Watercutter. Le ou la scientifique descend de son piédestal. Il est désacralisé. Résultat probable : la conversation est plus ouverte, les questions viennent plus facilement.

De maigres résultats statistiques, mais…

En terme statistique, le résultat est cependant assez maigre. La chaîne Twitch « ClimateFortnite » comptait moins de 100 abonnés en septembre 2018. Pire : de l’aveu même de Henri Drake, l’auteur de la chaîne, seule une poignée d’internautes (moins de 10 !) voient chacun de ses streams et posent des questions.

Ces maigres résultats ne doivent pas masquer l’intérêt de l’initiative. La vidéo en général et le streaming en particulier suscitent une attention très forte de la part du public. C’est un point décisif dans la « bataille de l’attention » qui gouverne internet (nous y reviendrons très bientôt sur Le bureau de Ganesh, d’ailleurs). Comment obtenir l’attention du public alors qu’il est sollicité de toutes parts ? « ClimateFortnite » apporte une réponse exemplaire.

Certes, les internautes sont peu nombreux à regarder « ClimateFortnite« . Mais le fait même que quelque uns le fassent tout en échangeant sur le changement climatique est, en soi, un exploit. Et cet exploit serait impossible avec un autre format.

La première vidéo, cette fois sur YouTube, d’Henri Drake discutant de changement climatique tout en jouant à Fortnite.

Intégrer des informations sur le changement climatique dans un article sur Fortnite serait voué à l’échec. De même, parler d’un tel sujet dans podcast consacré à Fortnite serait tout autant un échec. Les discours sur le climat seraient perçus, à juste titre, comme hors-sujets.

Grâce à la désynchronisation de la concentration, le format vidéo remporte la bataille de l’attention

En revanche, le format vidéo permet, lui, de désynchroniser l’attention. Dit plus simplement : nous pouvons tous regarder une émission (en tout cas, certaines émissions) tout en parlant d’autre chose avec un·e ami·e. « ClimateFortnite » fonctionne de la cette manière.

Alors que le public est accroché, en terme de concentration, par les images du jeu, il est disponible pour écouter parler d’un autre sujet. Ce qu’il ne ferait pas avec un podcast ou un article, dans la mesure où son attention ne serait pas maintenue par une vidéo ou un stream.


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